Le 21 mai 2019 s'est déroulée la visite de notre évêque dans la région de Mortagne, Tourouvre et Longny au perche, sur le thème de la jeunesse; voici le résumé en vidéo de la journée :
Article publié dans Eglise dans l'Orne n°11 du 31 mai 2019
La neuvième étape de la visite pastorale dans le monde rural de Mgr Habert était dans le Perche Nord, entre Mortagne et Longny-au-Perche sur les thèmes de la jeunesse et de l’éducation.
Multiplier les regards pour mieux comprendre
Avec quatre rencontres principales et quelques visites plus succinctes, cette visite pastorale a tenté d’avoir une vue la plus globale possible de la question de l’éducation des jeunes dans le Perche Nord.
Après un court passage sur le terrain où se déroulait le cross solidaire organisé par l’ensemble scolaire Bignon, Mgr Habert a pu partager d’abord avec des éducateurs ou maître d’apprentissage dans différents secteurs (accueil à domicile de jeunes placés, éducateur sportif en IME, éducatrice auprès d’enfants épileptiques, artisan glacier) sur ce qu’est éduqué en milieu rural. Ensuite après un bref passage à la crèche de Longny, un temps de rencontre avait lieu avec des parents et grands-parents sur le quotidien des familles et ses spécificités à la campagne.
L’après-midi, ce furent les partenaires autres que les parents de l’éducation d’un jeune qui se sont exprimés : les associations qui proposent des activités sportives ou culturelles (médiathèque, associations sportives, centres de loisirs de la Communauté de Communes) et bien sûr les enseignants de tout niveau (de la maternelle au post-bac) et de toutes filières (privées ou publiques, générales ou professionnelles avec les MFR - Maisons familiales rurales).
En fin d’après-midi, Mgr Habert a échangé avec quelques jeunes (de la 4e à la 1ère) de leur propre approche et jugement de cette « éducation en milieu rural ».
Les joies et les défis d’éduquer aujourd’hui
De tous les témoignages de la journée remontent certaines constantes :
- une omniprésence des écrans chez les jeunes (et les autres aussi !) qui les isolent, créent un « zapping permanent », des difficultés de concentrations qui rendent difficile la transmission, l’assiduité à une activité ne serait-ce qu’un an…
- une fragilisation des familles par la pression de la vie professionnelle, les séparations… Or les premiers éducateurs sont les parents. Les jeux ou activités familiales se sont perdus dans beaucoup de familles, les repas ne sont plus pris en commun.
D’où les priorités définies par M. Guy Desbouillons, responsable de la médiathèque de Mortagne et que partageaient les responsables d’associations sportives ou de centres de loisirs: les sortir des écrans, construire un « vivre ensemble » et accompagner les parents. Et c’est possible ! La belle médiathèque de Mortagne inaugurée en 2013, par son ouverture à la culture numérique et vidéo est devenue un lieu-repère pour les jeunes. Et après un apprentissage parfois rude des règles (vis-à-vis du bruit, du travail des autres), ils sont beaucoup à en profiter notamment de la belle salle de travail à leur disposition, des vidéos, de la ludothèque… L’objectif de M. Desbouillons, en partenariat avec les écoles est de faire une véritable éducation à l’image: ne pas s’opposer au développement du numérique mais susciter une réflexion face à l’instantanéité et au zapping…
De même le centre de loisirs de la communauté de communes sensibilise les plus jeunes au vivre ensemble, à l’écocitoyenneté (que les enfants peuvent à leur tour transmettre à leurs parents !). « Un sport comme le judo, nous dit Mike Amiot, jeune professeur du club de Mortagne et Tourouvre (150 licenciés), apprend à canaliser son énergie, le respect de l’autre, l’arbitrage… Derrière cette activité des valeurs se transmettent. Cela m’a assez motivé pour quitter un premier métier de consultant marketing en région parisienne. »
Certes cette transmission, et cela est confirmé par M. Jérôme Padiou, responsable de la piscine de Mortagne, passe beaucoup par la répétition incessante des consignes mais « c’est à nous de trouver la manière de se faire comprendre » disent-t-ils. Même discours par rapport au manque d’assiduité : il nous faut motiver, donner envie de continuer… Mais on est récompensé quand certains jeunes reviennent nous visiter après la terminale, voire en font eux-mêmes leur métier…
Et c’est par cette joie du métier que commença l’échange avec le monde enseignant. Le métier semble être beaucoup plus aujourd’hui d’éduquer que d’instruire, les satisfactions qu’ils procurent sont plus d’accompagner la personne du jeune, de le voir grandir quand on sait la valoriser, s’affirmer dans une relation à l’adulte. Il s’agit à tous les âges de la vie scolaire, d’accompagner les fragilités, d’être assistante sociale, conseil en orientation, d’accompagner les familles en souffrance. La transmission de savoir ne peut se faire qu’à cette condition mais donne la joie d’avoir été utile dans la construction d’une personne humaine.
Steve Lepleux, directeur de l’ensemble scolaire Bignon pose alors la question des réformes en cours dans l’éducation nationale : favorisent-t-elles cette construction de la personne ? Oui pour celles qui créent des liens comme l’interdisciplinarité ou la construction du cycle 3, faisant une passerelle CM 2 - 6e. Non majoritairement pour les récentes réformes du collège et du lycée qui font éclater le groupe « classe », sont difficiles à comprendre et suscite frustrations et incertitudes par leur complexité. Globalement la multiplicité des réformes, leur côté éphémère empêchent toute stabilité qui est nécessaire à la construction de l’élève.
Y-a-t-il une spécificité du monde rural ?
Éduquer en monde rural c’est d’abord devoir sans cesse affronter les distances. « Ici, tout est loin » résume une mère de famille. Les allers-retours à l’école, aux activités, chez le médecin… sont chronophages et usants. Trouver aides sociales et médicales pour les familles est de plus en plus difficile… La future réforme des lycées, en rendant impossible une offre complète localement risque d’aggraver la situation. Et les jeunes sont forcés au départ dès qu’ils font des études avec de fortes chances de ne jamais revenir.
La faible densité de population fait que certaines activités peuvent manquer. Il n’y a pas de MJC (Maison des Jeunes et de la Culture) sur Mortagne soulignent les éducateurs et la ville semble plutôt faite pour la consommation des Parisiens que des jeunes locaux.
Un policier municipal consulté constate le désœuvrement de certains jeunes…
Pourtant des associations nombreuses existent mais « le transport, quand on est par exemple une mère célibataire à Soligny, peut être impossible » dira Delphine Russeau, responsable du centre de loisirs de Mortagne, et d’ajouter « quand un jeune habite
Mortagne, c’est beaucoup plus simple pour lui. ». Une certaine pauvreté sociale et culturelle de la campagne peut encore aggraver les choses.
Pourtant les parents consultés sont unanimes : aucun ne regrette le choix d’éduquer ses enfants à la campagne. Et de citer de nombreux avantages: la pollution moindre, une vie moins stressée, plus saine, une certaine sécurité éducative (il y a moins de tentations à la campagne, de fréquentations indésirables…). « On est moins égoïste à la campagne » et l’entraide y est réelle notamment pour le covoiturage qui diminue la charge des transports.
Globalement face aux grands défis relevés par tous le rural offre des avantages :
- le vivre ensemble est favorisé : on connaît mieux son voisin, les associations soulignent la chance d’avoir un brassage social impressionnant. Le tout est qu’ils trouvent des lieux pour se retrouver comme l’aumônerie ou le club de sport.
- Face aux écrans et à la trépidation de la vie moderne, vivre à la campagne oblige à développer d’autres valeurs que la consommation ou l’instantanéité par un nouveau rapport au temps et une certaine vérité des choses en associant ses enfants au jardinage par exemple ou à la contemplation de la nature. « Une sagesse de vie » résumera Mgr Habert.
- Un sentiment d’appartenance, un enracinement permet de mieux se construire par le rapport à la terre ou au patrimoine
- L’apprentissage de l’autonomie peut être plus précoce, ne serait-ce que par le recours souvent nécessaire à l’internat, par le fait d’être seul souvent… à condition de ne pas les avoir élevés « dans une bulle en marge ».
Mais ces jeunes sont-ils sensibles à cette chance de vivre en milieu rural, en communion avec la nature qui est « la voie d’avenir » nous dira un couple de parents ?
À 17 ans rien n’est moins sûr… Oui, affirme cette maman agricultrice dont les trois adolescents ne voudraient pour rien au monde vivre en grande ville. Pour d’autres l’attraction de la vie urbaine et la volonté d’autonomie sont plus fortes… Mais ils pourront revenir, comme ce qu’a fait le glacier, mondialement connu, Gérard Taurin. Et de souhaiter que tous les jeunes qu’ils forment puissent un jour revenir profiter de la chance de vivre en famille à la campagne.